Chapitre I – Folie
[Chapelle du Village d’Érion, En Soirée]
Les cloches sonnèrent. Un son lent, fort et lourd. Un requiem en l’honneur des morts, se répercutant à travers la petite bourgade d’Érion, à travers la chapelle où la quasi-entièreté des habitants s’étaient réunis durant la soirée. Certains pleuraient à chaudes larmes, d’autres se montraient silencieux et solennels, mais il était aisé de voir que toute cette masse était profondément ébranlée. Aucun d’entre eux, même les plus pessimistes, n’aurait pu imaginer un instant qu’Ehlenndra, que la douce, candide et aimable Ehlenndra, puisse les quitter de façon aussi bête et soudaine. Elle n’avait que quinze printemps bien comptés, pourtant! Si cela n’avait été de cette chute, de cette banale chute qui aurait pu être évitée, elle serait encore parmi eux, réchauffant le cœur des habitants par un simple sourire. Un sourire qui habitait l’esprit de tous les villageois massés à l’intérieur de la chapelle.
Sauf un.
Un homme, debout à l’arrière de la chapelle, restait totalement de marbre devant la dépouille inanimée d’Ehlenndra. Il fixait la jeune fille sans ciller une seule seconde, les bras croisés, le regard cerné de noir, froid et calculateur, comme s'il attendait quelque chose de la morte. Chose apparamment inutile - puisqu'elle était morte, justement. Mais il continuait tout de même à l'observer attentivement, inlassablement, sans que l'on sache le pourquoi du comment de tout ce manège.
L'homme faisait peur à voir. Son teint cadavérique, encadré par des cheveux noir d’ébène lui atteignant la taille, lui donnait une allure spectrale. Ou vampirique, d’un autre point de vue. D’ailleurs, personne ne connaissait réellement les origines de cet homme et la rumeur voulait que son sang soit des plus maudits. Diable, vampire, mort-vivant, démon, elfe noir – il avait tout entendu, même les hypothèses les plus absurdes! Seule une chose était certaine pour les habitants d’Érion : cet homme était un fou. Un véritable aliéné.
« …Ce que vous êtes pathétiques, murmura-t-il pour lui-même. Tous à pleurer pour l’âme d’une femme que vous oublierez bien assez tôt. Tous à espérer que les Dieux, que Chaos, sera assez clément pour lui redonner vie dans un au-delà qui n’existe point… C’est bien la pire des calomnies que j’aie eu à voir de ma vie. »
Quoique à demi-audibles, ses paroles se répercutèrent en écho, et brisèrent le silence régnant dans la chapelle. Une bonne partie des priants se retournèrent vers l’homme au teint d’albâtre, à la fois outragés et dégoûtés par ses paroles. Comment osait-il être totalement insensible envers la petite Ehlenndra?!
« Faust! Vous pouvez pas vous fermer la trappe, pour une fois?!
- Déranger l’bon monde en plein milieu des funérailles de la p’tite Ehlenndra! Avez-vous pas honte?!
- Décampez donc d’dans votr’ trou, espèce de malade mental! »
D’une main, le prêtre en charge de la cérémonie exigea le silence. Il fixa Faust droit dans les yeux – des yeux d’une étrange couleur écarlate. Des yeux ne pouvant appartenir qu’à un fou. Ou bien un démon.
« Faust. Votre réputation n’est plus à faire. Tous les gens du village vous connaissent très bien… pour les mauvaises raisons. J’ai pitié de vous. Vous avez pourtant toutes les qualités d’un brillant et formidable scientifique, d’un homme qui saurait nous mener vers le progrès. Malgré cela, vous avez décidé de sombrer dans cet art maudit qu’est l’alchimie. Vous soutenez pouvoir surpasser les Dieux, pouvoir faire mieux qu’Eux! Quelle parjure! Je croyais bien que seuls les Anathoïs seraient capables d’un affront aussi insensé, et encore!
- Je n’ai que faire de votre pitié.» rétorqua sèchement l’alchimiste.
Il se tourna vers les villageois, toisant chacun d’eux avec des yeux brûlants de colère.
« Vous persistez à croire en un être qui n’a jamais rien fait pour vous! Qui d’entre vous l’a déjà vu, Chaos? Qui d’entre vous l’a vu de ses propres yeux?!»
Un silence de mort régnait dans la salle.
« Alors? … Personne?»
Il s’avança vers l’autel, et continua sa tirade face à la foule, prenant la place qu’occupait le prêtre quelques minutes plus tôt.
« Alors que vous placez tous vos espoirs en un dieu que vous n’avez jamais vu, vous osez douter de moi, Faust, un être de chair, de sang et d’os? Et, qui plus est, l’alchimiste le plus puissant de toute la Thessalie?! J’ai des connaissances qui dépassent largement les vôtres, vous le savez très bien. Et sachez que je détiens entre mes mains le secret de la vie elle-même! …Oui. La vie! Je peux la créer… Non, mieux encore, je vais la créer! Bientôt, en cette 9ème ère, un homme créera un autre homme, à l’instar de ce Chaos que vous vénérez tant! Il sera un guerrier redoutable, plus fort que les hommes, plus fort que les Anathoïs! Et même… plus fort que les Dieux eux-mêmes!
- Vous… Vous êtes fou, Faust! Vous êtes grotesque! Infâme!
- C’est vous qui êtes infâme, monseigneur! Infâme de croire Chaos plus puissant que moi, infâme de croire que je ne saurai le surpasser! Un jour, je créerai un être plus puissant que les Dieux, et ils seront tous à ma merci! Vous verrez bien, vous, les âmes ignorantes! Vous verrez bien!! »
C’en était beaucoup trop pour les paysans d’Érion. D’un bond, ils se levèrent et saisirent Faust, l’entraînant de force hors du lieu sacré. Ce dernier ne leur prêta pas attention, et offrit peu de résistance, totalement obnubilé par son précédent discours. Et alors que les portes du lieu sacré se refermaient derrière lui, Faust se mit à rire. D’un rire léger au début, mais qui gagnait graduellement en intensité. Un rire bruyant, sadique, presque triomphal, ne pouvant appartenir qu’à un démon qui savait que la guerre était gagnée d’avance. Et pour cause.
Cette nuit, après de longues années de recherches, d’expériences et de dur labeur, Faust allait enfin mettre son plan en action. Dans cette chapelle, il avait enfin trouvé la pièce maîtresse de son oeuvre, de sa créature. Ces naïfs paysans allaient voir ce qu'ils allaient voir!
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Sam 19 Avr - 21:46
